mercredi 27 juillet 2011

Ma copine Manon est une super copine.

Mais elle a eu une enfance un peu spéciale : jusqu'au Bac, elle a vécu dans la montagne, sans télé, sans radio, sans Internet, sans beaucoup de contact humain (peu de gens sont motivés pour aller vivre dans les Basses-Alpes, semble-t-il), mais avec beaucoup de contact des marmottes et des chamois.

Alors, forcément, quand elle a déménagé à Strasbourg pour ces études, ce fut le choc. Le choc du monde, déjà, et puis le choc de la culture contemporaine aussi. Parce que Manon, elle a lu Anna Karénine à neuf ans et demi, mais par contre elle sait pas qui c'est Bono.

- Bono! Le chanteur de U2!
- Je connais pas. Ils font quoi comme musique?
- Ben ils font... ils font genre des musiques super connues! Bloody Sunday! With or without you! 

Je lui ai fait écouter la musique, elle voyait toujours pas. Et puis, soudain :

- Ah mais si! Bono! C'est celui qui est mort quand j'étais à l'hôpital!
- Heu non, il est pas mort Bono.
- Mais si! Il est mort en janvier, quand j'étais à l'hôpital, ils en parlaient tous à la télé! Le chanteur, là!
- Manon... est-ce que tu es en train de confondre Bono avec Carlos?
- Ah... oui... peut-être que c'était Carlos son nom.

Mais depuis, elle a rattrapé son retard en culture contemporaine, elle a écouté des chansons, elle a regardé des films coréens, elle a été traumatisée à vie par "Old Boy" (comme tous les gens qui ont regardé "Old Boy"), y'a plus de souci.

Mais, de son enfance sauvage élevée par des loups, Manon a gardé certaines habitudes. Par exemple, elle déteste de toutes ses forces les foules de plus de trois personnes. C'est pour ça qu'après Strasbourg (250 000 habitants), elle a décidé de partir à Québec (500 000 habitants). Puis, comme elle s'est dit que la logique c'était pas son fort, elle a décidé de voir les choses en grand, et elle est carrément partie à Moscou (11 millions d'habitants!). Ensuite elle a failli mourir d'agoraphobie, alors elle a décidé de se reposer un peu dans un petit village. Le petit village de Montréal (2 millions d'habitants).

Dans la même foulée masochiste, elle a aussi décidé de n’habiter que des pays froids (Russie, Canada), mais attention, pas du froid laïque hein, du froid de derrière les fagots, du - 30 degrés jusqu'en mars avec les bourrasques de vent et les maisons pas isolées, où ça givre sur la face intérieure de tes fenêtres, ce genre de froid. 

Sachant que Manon, en juin 2007 à Moscou, pendant la pire vague de chaleur de la décennie, quand il faisait 30 degrés la nuit, qu'on était dans une petite chambre au 13è étage et qu'on pouvait pas ouvrir les fenêtres, se mettait au lit avec un pyjama intégral, un drap, deux couvertures, et me demandait :

- Je peux t'emprunter tes chaussettes? Non parce que sinon j'ai froid aux pieds, la nuit.

Ah ben oui c'est sûr, c'est vrai qu'il fait seulement 32 degrés et que le soleil va venir nous frapper en pleine gueule à 3 heures du matin jusqu'à ce qu'on ait l'impression de dormir dans un micro-ondes, là c'est POLAIRE comme climat.

Mais Manon est une personne de contradictions. C'est la fille qui se casse les ligaments croisés, et qui me dit que c'est la pire douleur qu'elle a jamais ressentie, et cinq mois après l'opération, elle galope dans Saint-Pétersbourg et me force à marcher 15 bornes par jour avec elle.

Mais Manon, c'est avant tout une fille sympa, gentille, et super marrante. Le genre de fille qui, quand elle se casse à six fuseaux horaires de chez toi pendant trois ans, ça te fait bien chier. (Contrairement à plein d'autres filles. Anna Gavalda, tu peux te casser quand tu veux.)

Donc j'étais contente de la revoir quand elle est venue pour le long week-end du 14 juillet. Elle aussi, elle était contente de revenir en Alsace, je crois. Je pense que ça a quelque chose à voir avec le fait qu'elle a mangé une tarte flambée à chaque repas. Et qu'à chaque truc qu'on mangeait, elle me racontait comme c'était bon.

- Non mais du fromage quoi, du FROMAGE !
- Ouais enfin, c'est juste le gruyère du Norma.
- Mais il est BON, il est tellement bon, si tu savais!

(Apparemment, au Québec, ils font du fromage goût pneu.)

Du coup, pendant les quatre jours qu'elle a passé en Alsace, on s'est fait tout un programme touristique. Genre on a visité Strasbourg alors qu'elle y a habité pendant deux ans, on a visité Colmar et j'étais un guide formidable :

- Et ici c'est la pharmacie Toc-Toc, où y'a que des gens chelous, faut jamais aller prendre des médicaments là-bas. Et là c'est le bar à hippies, et là c'est le bar à cocktails cher, et là c'est le bar avec que des collégiens, là c'est la librairie avec les livres pas cher, là c'est la rue avec le clochard qui a un méchant chien. Et là c'est la maison natale de Bartholdi, ch'crois. Ou alors c'est juste une porte cochère.

C'est pas ma faute, moi j'ai vécu ici, j'ai jamais fait les visites officielles.

- Ah, et puis là y'a une maison que les touristes prennent toujours en photo. Donc tu devrais prendre une photo, des fois que ce soit connu.

Après on a fait une rando de la mort au Lac Blanc, là j'étais plus utile. Déjà j'étais la seule qui savait comment aller au Lac Blanc (honte sur Professeur Flaxou, le faux alsacien!), et ensuite j'ai pu fournir des informations utiles sur la toponymie du pays Welche :

- Le Lac Blanc, on l'appelle comme ça parce qu'il est blanc.
- Et le Lac Noir?
- Parce qu'il est noir.
- Et le Lac Vert?
- Parce qu'il est vert.
- Et le Lac des Truites?
- Parce qu'il y a des truites.

(On est des originaux, dans la région.)

Le problème, c'est aussi que c'est mon papy qui m'a instruit. Je crois qu'il a un peu assaisonné la vérité à sa façon.

- Alors, le lac des Truites, faut savoir un truc : faut pas aller se baigner là où on a pas pied.
- Pourquoi?
- Parce qu'en fait, y'a une truite géante mangeuse d'hommes qui vit au milieu du lac, et si tu vas trop loin, elle te mange.
- ...
- Quoi? Pourquoi vous me regardez comme ça? Eh vous êtes pas du coin, OK?

Ensuite on est allées au musée Unterlinden, voir le fleuron de l'art médiéval rhénan. (Bon, OK, dit comme ça, ça a l'air chiant. Mais en fait non!) Et comme j'ai fait du catéchisme à l'école, j'expliquais les tableaux à Manon:

- Là c'est la Crucifixion, là c'est la Déploration, la c'est la mise au tombeau, là c'est la Résurrection.

Ça va très bien tant que c'est les trucs connus, après ça se gâte un peu.

- Et là?
- Là c'est Jésus avec... saint...Matthieu? Et ils vont dans... Nazareth? Et là, Jésus fait un miracle... je crois.

Mais le plus fun, c'était le Haut-Koenigsbourg. J'ai passé tout le trajet en voiture à dire à Manon : 

- Tu vas voir, d'en haut on a une vue magnifique sur toute la plaine d'Alsace. Tu peux voir le Rhin, la Forêt Noire, s'il fait beau on voit même les Alpes suisses!

Et là, on rentre dans UN PUTAIN DE NUAGE. Qui s'est accroché à la montagne TOUT L’APRÈS-MIDI. Ce qui fait que, en plus de pas voir à trois mètres devant nous, on s'est aussi royalement pelé les miches, vu qu'on était en petites vestes d'été et qu'il faisait NEUF DEGRÉS.

Mais c'était sympa quand même. On a fait la visite guidée, et Manon a rien appris parce qu'elle savait déjà tout.

- Mais bien sûr que le roi allemand de l'époque c'était Guillaume II de Prusse! Enfin c'est enfantin!

La prochaine fois, on ira au musée du rock irlandais, et là on verra.

Et puis on a fait le musée zoologique et c'était top-moumoute, sauf le petit instant où j'ai cru mourir :
- Ah ouais il est cool ce musée, tiens cette salle dit "Arthropodes", je me demande ce que ça veut dire.

Maintenant je sais. C'est la traduction grecque pour "putain de gros insectes dégueulasses et de grosses mygales de la mort". Mais c'est pas grave, hein, j'irai juste acheter un pacemaker, tant pis.
Donc c'était un week-end de folie et de tartes flambées, et j'espère que Manon reviendra plus souvent en Alsace (et qu'on fera des attractions moins dangereuses pour ma santé).

En attendant, on peut kiffer avec Jésus.

 (Le pouvoir de l'audioguide est en moi!)

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