jeudi 29 mai 2014

Chim chimney chim chimney chim chim cheree, a sweep is as lucky as lucky can be

Quand j’étais petite j’habitais au cœur de la montagne (enfin pas tout à fait mais c’était le début des Vosges quoi) et du coup j’ai eu une enfance de petite sauvageonne, passée à courir dans la forêt et à se rouler dans la boue avec les sangliers, c’était le Bonheur total tu t’en doutes.

J’ai gardé de cette enfance un penchant pour les balades dans la forêt et un amour immodéré des arbres (je grimpe plus dedans sinon je me pète les genoux, mais je leur fais encore des câlins dès que l’occasion se présente).






(Preuves à l'appui)

Mais j’ai surtout gardé de cette enfance montagnarde des souvenirs bien spécifiques, et que seuls les autres enfants de la montagne (ou de la cambrousse, à la limite) peuvent connaître.

Par exemple, la maison de mes parents est bâtie sur l’ubac (oui, être une enfant de la montagne, ça veut aussi dire savoir faire la différence entre l’adret et l’ubac, paye tes 20/20 en géographie) et du coup je sais mieux que personne savourer la joie du rayon de soleil qui traverse ton jardin entre 16h et 17h30 les jours d’été (entre le moment où il quitte enfin le versant d’en face et le moment où il va se cacher derrière le sommet de ta montagne). D’ailleurs, à cette époque, ma sœur et moi on passait nos journées d’été en mode :


Au taquet avec les matelas d'un côté et l’huile solaire de l'autre, à guetter les premiers rayons qui touchaient le coin de la terrasse, pour se jeter dessous au plus tôt et maximiser le temps de bronzette.

(Il était loin, le temps de la vie au pays du cancer de la peau et du tartinage de protection 50 même pour aller faire les courses.) (Oui, car d’après Professeur Flaxou, t’as le temps de choper un mélanome rien que sur le parking.)

J’ai aussi une bouffée de nostalgie dès que je rentre chez mon père l’hiver et que j’entends la douce mélodie du :

- Éteins la lumière, y’a EJP !

Ça marche aussi avec « ce soir on fait de la pizza, c’est EJP » (le four est au gaz) ou encore « Qui a mis le chauffage dans la salle de bains, t’es pas fou non c’est EJP ! »

(EJP, c’est une formule EDF où on paye l’électricité moins cher toute l’année, mais en contrepartie y’a 22 jours dans l’année ou l’électricité coûte sa race. Et comme chez EDF c’est pas des foufous, ils font tomber tous les jours EJP en hiver, là où tu consommes le plus d’électricité.)

Du coup, mes souvenirs d’enfance hivernaux sont remplis de soirées pizza et jeux de société (parce qu’on ne pouvait pas regarder la télé ou lire) éclairées à la bougie, et où tout le monde trichait en profitant des coins de table sombres.

(Oui Mélanie, c’est à toi que je m’adresse. Décembre 1995, tu crois que je t’ai pas vue chourer le fils du Boulanger dans la pioche juste pour pouvoir compléter ta famille ?)

Mais le meilleur souvenir de mon enfance montagnarde, c’est sans conteste le chauffage au bois.

On avait EJP et on avait une parcelle de forêt avec plein d’arbres gratos dessus, donc le calcul était vite fait, à la maison, c’était bois, bois, bois. (On avait un poêle dans la cuisine, un poêle dans la cave, et une cheminée dans le salon, ça manquait pas de fournaises je peux t’assurer.)

Alors du coup, j’ai connu les horreurs du chauffage au bois : se réveiller grelottante dans une chambre gelée (big up si tu connais la technique de t'habiller sous la couette pour pas perdre des orteils dans le processus) ; se cramer les mains en mettant des bûches dans le feu ; et toute cette putain de motherfucking CENDRE partout, je te jure des fois j’en cauchemarde encore la nuit.

Mais tous ces inconvénients n’étaient rien face aux joies du chauffage au bois : la chaleur qui vient pulser sur ton visage, la lumière des flammes, la bonne odeur de fumée, les pommes de pin qui éclatent, faire griller des marrons dans la cheminée, se faire rôtir les mains en poussant des brindilles dans le feu, l’odeur délicieuse de la première allumette craquée le matin…

(Nan j’ai pas du tout des penchants pyromanes, qu’est-ce qui te fait dire ça ?)

Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours adoré le feu. C’était même mon centre de préoccupation principale (avec la bouffe). Je rampais toujours vers la cheminée pour toucher les flammes, et ma mère me tirait toujours de là en me disant « Non Charlotte ! Pas toucher ! C’est chaud ! Chaud ! ». Or donc, un beau jour qu’elle me remontait les bretelles de la sorte, j’ai hoché la tête gravement et j’ai pointé mon petit doigt potelé vers la cheminée en disant « Sssôôô ». Et c’était mon premier mot.

(Oui j’avais un cheveu sur la langue quand j’étais petite. Mais en contrepartie, j’ai toujours été très fortiche pour prononcer le « th » anglais qui donne tant de peine aux petits Français, alors voilà, justice pour tous.)

Après, j’ai déménagé à Strasbourg, et j’ai dû me chauffer avec des radiateurs électriques sans âme et sans odeur, et je mourais un peu à l’intérieur dès que je me retrouvais à tourner leurs diaboliques boutons au lieu de faire chanter la poésie des allumettes (mais bon c’était ça ou crever de froid, et je reste un cul gelé avant tout).

Alors, à mon arrivée en Nouvelle-Zélande, tu peux imaginer ma joie quand on est allés visiter ce qui allait devenir notre maison, et que j’ai vu la cheminée qui trônait dans le salon.

En gros, notre coloc nous a fait asseoir dans le salon et a commencé à nous parler de places de parking et autres jours de poubelles, et moi j’étais posée sur le canapé comme ça :


Et puis soudain, c’était enfin mon moment :

- Voilà, je crois que c’est tout. Vous avez des ques….
- LA CHEMINÉE ELLE MARCHE OU PAS ?

Et là, Maria a répondu :

- Non.


(Horreur, fureur, malheur.)

S’en est suivi un hiver entier à gémir :

- Mais putain mais qu’est-ce que c’est que ce pays de merde il fait tellement froooooiiiiiid et tellement humiiiiiiiide ! Si seulement cette cheminée marchait on pourrait faire du feu et ce serait tellement bien et la vie serait un champ de fleurs, mais non ! Non non non ! Il faut toujours qu’il y ait un problème ! Après tout dieu sait que ce serait trop demander d’être heureuse UNE FOIS dans ma VIE !
- Qu’est-ce que tu marmonnes ?
- Rien.
- J’ai ma mère au téléphone, elle dit qu’en Alsace ils ont une canicule. 34 degrés, ils savent plus où se mettre!


- Ben quoi, j'ai dit une connerie ?

Et puis les beaux jours sont revenus et j’ai quitté mon humeur morose (faut dire aussi que ça aide le moral de  ne plus devoir porter des vêtements humides toute la journée).

Et, un beau jour d’été, alors que je discutais avec Maria :

- Le linge sèche tellement vite, c’est un régal ! Cet hiver je devais le suspendre au-dessus du radiateur, sinon au bout de 3 jours il était toujours humide.
- Oui, pareil pour moi. Si seulement la cheminée marchait, on pourrait mettre le linge à sécher près du feu.
- Oui, mais elle est juste décorative, non ?
- Non non, c’est une vraie cheminée, mais la proprio m’a dit qu’il y avait des fissures, donc on ne peut pas faire de feu.



- Attends: ça veut dire que si on fait réparer les fissures, on aurait une cheminée en état de marche ?
- Ah, je suppose que oui.

(Sans déconner.)

Après quelques pourparlers avec la proprio, elle a donc accepté de payer les réparations, et tu sais ce que ça veut dire?

Ça veut dire qu'on va pouvoir faire du feu!

JOIE ET BONHEUR.


C'est donc par un petit matin glacial que le réparateur de cheminée est venu colmater nos fissures. Et quand je dis "petit matin", le mec s'est pointé à SEPT HEURES ET DEMIE. En plus j'étais la seule à la maison, donc j'étais obligée de me lever (galère horrible) (surtout qu'on se caille les meules et qu'on peut pas faire de feu).

C'est bon, je comprends mieux pourquoi les Kiwis se couchent avec les poules: c'est parce qu'ils sont debout à cinq heures du mat'. Comme mon papy.

(Papy qui d'ailleurs, quand j'étais petite, passait à la maison tous les matins d'hiver au réveil pour allumer le feu dans le poêle de la cuisine, pour qu'il y fasse chaud quand on se levait pour l'école.)

(Et des fois, quand il restait de la vaisselle de la veille, il la faisait avant de repartir, parce qu'il aime pas quand y'a des choses qui traînent dans l'évier.)

(Oui, mon papy est un peu un Elfe de maison, on peut le dire.)

Alors j'étais super déçue de la gueule du réparateur de cheminées, parce que je m'attendais un peu à un truc folklo, du genre le bon vieux ramoneur à l'accent Cockney, qui aurait peut-être pu me chanter une petite chanson, chais pas moi, Disney m'aurait menti ou quoi?


(Ce serait pas la première fois, mais quand même.)

Eh ben non, trop pas, Monsieur Ramoneur n'était même pas couvert de suie ni rien. C'était juste un Kiwi avec une caisse à outils, une salopette et un filtre à particules sur la bouche.

(Oh ben oui, ça y est, alors sous prétexte qu'on chope des cancers, on dit adieu aux belles traditions comme respirer du charbon. Je ne vous félicite pas, monsieur.)

Donc il a réparé la cheminée pendant que je faisais des trucs dans la maison pour pas qu'il pense que je suis une glandeuse (déjà que je suis allée lui ouvrir la porte avec des plumes dans les cheveux et des croûtes aux coins des yeux, merci bien). Donc j'ai fait du thé, j'ai fait la vaisselle, j'ai rangé la vaisselle, et puis j'ai fait une lessive en appuyant bien sur tous les boutons de la machine pour qu'il sache que c'est pas le seul qui bosse ici.

(Même si j'ai mis l'assouplissant dans le tiroir de la lessive et la lessive dans le tiroir de l'assouplissant, mais merde il était sept heures et demi du matin, je considère déjà ça comme un exploit que j'aie réussi à trier les couleurs.)

Et puis ensuite le monsieur a dit que c'était fini les travaux, et je trépignais déjà d'impatience à l'idée de rejoindre ma couette.

SAUF QUE NON.

Sauf que Monsieur Ramoneur a cru bon de me raconter des conseils pendant dix minutes (sous le vague prétexte que si je fais du feu avant que les fissures ne sèchent, je risque de foutre le feu à la cheminée et de tous nous tuer), alors comme c'était vaguement important, je me concentrais pour bien comprendre, mais est-ce que je t'ai déjà dit qu'il était SEPT HEURES ET DEMIE DU MATIN?

- Voilà, donc c'est tout ce que vous avez besoin de savoir. Vous avez bien compris?


(C'est pas humain.)

Du coup j'ai vaguement compris qu'on n'avait pas le droit de faire du feu pendant sept jours, le temps que le ciment soit sec.

Voilà voilà.

Il fait maintenant 9 degrés à l'intérieur de la maison.

(Et il fait 15 degrés à l'extérieur.) (Cette maison est une entité bâtie sur un plan démoniaque, je ne vois pas d'autre explication.)

Du coup, j'attends lundi avec double impatience (Game of Thrones + cheminée, ça va danser dans les chaumières, c'est moi qui te le dis).

Et en attendant, je me morfonds dans ma chambre froide.


(Mais en moins triste, parce que j'ai un PC quand même.)

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