jeudi 29 octobre 2015

Un long week-end dans l'Est


Et donc en Nouvelle-Zélande on avait un long week-end, parce que le dernier lundi d’octobre, c’est la fête du travail.

(En souvenir du 28 octobre 1890, qui était la première fête du Travail en Nouvelle-Zélande, et le premier anniversaire du Maritime Council – une organisation regroupant les tout premiers syndicats du pays.)

Bref, depuis, on a un long week-end à chaque fin octobre, et c’est cool parce que c’est presque l’été.

Donc, avec Flaxou, on s’est dit que c’était bien beau de vivre emmurés sous la pluie depuis juin, mais que maintenant, c’était reparti pour la saison des road trips.

Donc on est partis en direction d’une région qu’on n’avait jamais visitée avant : la région de Gisborne, aussi appelée « Eastland ».



(Les routes sont en rouge et jaune, les chemins de terre battue sont en blanc.)

Cette région, comme son nom l’indique, est située tout à l’Est de l’Ile du Nord, et elle est connue des néo-zélandais principalement pour les choses suivantes :

Le bon vin
Le micro-climat ensoleillé
Le décor de tous les films ou séries qui se passent chez les Maoris en milieu rural (on peut citer Boy ou encore Whale Rider - deux excellents films, soit dit en passant)
Le dicton selon lequel cette région est « la première au monde à voir le soleil tous les matins » et qui m’a fait hausser les sourcils jusqu’au plafond, parce que pendant un moment j’ai sincèrement cru que les Kiwis n’avaient pas saisi que la terre était ronde, mais fausse alerte, en fait ils parlaient juste des fuseaux horaires (sauf qu’en fait, même là, Samoa ou Fidji voient techniquement le soleil se lever avant eux, mais bon, tu as maintenant l’habitude du raccourci Nouvelle-Zélande = le monde entier.)

Et bien entendu, aucune région côtière de Nouvelle-Zélande ne serait complète sans son phare tout moisi qui est inexplicablement super important.




(Ceci est une photo Google – on n’y est même pas allés.)

(C’était deux heures et demie de route sur une voie non goudronnée pour voir un phare de deux mètres de haut, alors merci bien, on s’est fait rouler une fois, mais pas deux.)

La région Est telle qu’on l’a expérimentée est un endroit beau, grand, et très rural – la moitié du territoire, c’est des parcs naturels, et l’autre moitié, c’est des pâturages pour vaches et moutons.

Un résumé rapide des caractéristiques typiques de la région Est :

Des petites routes qui serpentent au bord de la côte et/ou dans des gorges

Plein de marae (maisons de rassemblement pour les communautés maories)

Plein de bétail et d’animaux domestiques qui se baladent au bord des routes (non seulement des vaches et des moutons, mais aussi des poules, des chevaux, des dindons, des chiens, et même des paons) 



(Sérieusement ? Des paons ?)

Des boîtes aux lettres qui sont en fait des micro-ondes.



Ça doit être une tendance de la côte Est, je sais pas comment te l’expliquer, mais y’en a littéralement tous les kilomètres.

On en a tellement vu qu’on en a fait un jeu de voiture avec Flaxou, dont je te livre ici les règles en exclusivité : le but est d’arriver à dix points pour gagner la partie. Si tu es le premier à repérer la boîte aux lettres/micro-ondes, tu dois crier « MICRO-ONDES ! » et tu gagnes un point. Par contre, si tu te prononces trop tôt et qu’il s’avère que c’était pas un micro-ondes, mais une boîte aux lettres normale, tu perds deux points.

(On s’est quand même arrêtés une fois en plein milieu de la route pour double-checker ce qui s’est avéré être un mini-four-boîte-aux-lettres.)

(On a décidé que le point serait accordé quand même.)

Bref, voici venu le moment de te détailler nos aventures.

On est partis vendredi soir et on a fait les 5 heures de route jusqu’à Whakatane assez pépères. Arrivés à l’hôtel passées 22h, évidemment, la réception était fermée, mais comme j’avais appelé pour dire qu’on arriverait tard, ils nous avaient laissé les clefs dans un dispositif super sécurisé : dans une enveloppe devant la porte d’entrée.

(Je rigolerais bien si je ne savais pas pertinemment qu’aucun Kiwi – fût-il un brigand mal intentionné – n’irait jamais ouvrir une enveloppe si elle n’est pas à son nom.)

(Y’a des choses qui sont au-delà du tolérable même pour les gangsters.)

Bref, le lendemain matin, on a embarqué sur le petit bateau d’une compagnie de tourisme locale, direction White Island, une île volcanique située à 48 kms des côtes.

Et 48 kilomètres en pleine mer sur un petit bateau, c’est long. Deux heures, pour être précise.

Et deux heures, quand il fait moche et que le bateau tangue, c’est looooooong.

Bref : tout le monde a vomi partout.

(Tout le monde sauf Professeur Flaxou, sans doute protégé par l’aura de son quart d’ADN breton.)

Y’en a qui ont vomi par-dessus bord, y’en a qui ont vomi dans les toilettes, y’en a qui ont eu pas de bol et ont vomi sur le pont, et y’en a qui ont eu encore moins de bol et ont vomi dans le bateau – ce qui a fait vomir les rares gens qui vomissaient pas déjà.

(Oui je sais, j’ai beaucoup dit « vomi » dans ce paragraphe, mais y’en avait vraiment beaucoup.)

Moi j’ai tenté d’être brave, et je suis restée presque tout le voyage à serrer les dents et les poings, les yeux fixés sur l’horizon, en me répétant « Tout va bien. Tu n’as pas la gerbe. Tu te sens super. Tu es une Viking. »

Et puis, alors qu’on approchait tout juste de l’ile et que je me disais « Ouf, ça y est, on est arrivés, bien joué championne ! », y’a un type dans le bateau qui a renversé son petit sac en papier, et là, mon cerveau s’est mis en mode « survie primale » :

- Ça sent le…vomi? VOMI! OH MON DIEU QUELQU’UN A VOMI! ON EST TOUS EMPOISONNES ! ON VA TOUS MOURIR ! AZY GERBE !
- Mais c’est juste le mal de mer…
- GERBE J’TE DIS !
- Mais on a même pas mange la même cho…
- MAINTENANT ! ET QUE CA SAUTE!

Et donc j’ai dégueulé tout mon petit-déj dans le sac à vomi le plus minuscule du monde (mais j’ai réussi à pas en mettre une goutte à côté malgré le tangage de compète du bateau, j’étais super fière) et ensuite mon cerveau était très content :

- Aaaaah ben voilà ! On se sent mieux maintenant, pas vrai ?
- Ben….oui.
- C’est parce qu’on avait mangé un truc empoisonné. Maintenant c’est sorti de notre système. Je nous ai sauvé la vie.
- Mais pas du tou…
- TU VAS MIEUX OU TU VAS PAS MIEUX ?

(Les instincts de conservation, ces gros trolls.)

Bref bref.

Une fois que tout le monde avait pris un chewing-gum Emile (références de 1994 bonjour), on a enfin débarqué sur le plancher des vaches, ou plutôt le plancher des cailloux et du magma en fusion, qu’est White Island.


White Island, c’est une île qui est en fait pas vraiment une île, mais un petit volcan. 



Et il est plutôt incroyablement actif, ce qui est super cool si on a pas peur de jouer avec le destin :

- Et autour de vous, vous pouvez voir les cratères de la dernière grosse éruption.
- C’était il y a combien de temps ?
- Oh, ça fait longtemps. Au moins… un an.
- …
- Peut-être même un an et demi.

AH BAH TU ME RASSURES VACHEMENT, HAROUN TAZIEFF, DIS DONC.

- Alors, on vient de me signaler que les sismographes ont détecté une activité volcanique élevée durant les trois dernières heures.
- Alors quoi, on doit évacuer l’ile ?
- Oh bah nan, on va quand même finir le tour. On va juste s’approcher un peu moins près du gros cratère de soufre en fusion.

(La bonne idée de l’année.)

Mais malgré le fait qu’on aurait pu mourir, c’était quand même super fun. 


On a vu plein de trous qui fument et qui sentaient l’œuf pourri, on a fait coucou à un immense cratère de boue en ébullition (mais qu’on n’a pas vraiment pu voir, rapport à toute la vapeur), on a toussé nos mères dans les nuages de soufre, et on a bu de l’eau pleine de métal :

- Voici la seule source d’eau potable de l’ile. Allez-y, goûtez. Ça a quel goût?
- C’est salé, et… ferreux.
- C’est parce que cette eau contient énormément de minéraux. Beaucoup trop pour les êtres humains, d’ailleurs – surtout parce qu’il a plein de métaux lourds : du fer, de l’or, du mercure, du plomb…

SUPER JEAN-MI, TROP SYMPA DE ME DIRE CA UNE FOIS QUE JE L’AI BUE.

(Mon estomac plaqué or ne te dit pas merci.)

White Island a autrefois été occupée par une compagnie minière, et les mineurs habitaient dur l’ile pendant huit mois d’affilée et minaient le soufre sur les parois de la montagne. 



C’était pas particulièrement mauvais pour la sante d’être sur White Island, parce qu’ils minaient à l’air libre et que le soufre n’est pas mauvais pour les poumons (donc ils avaient moins de problèmes de sante que les mineurs de charbon, par exemple). Par contre, ils devaient se brosser les dents dix à douze fois par jour, parce que le soufre rongeait l’émail de leurs dents.

(Mais bon, à choisir entre des dents pourries et un cancer du poumon, c’est vite vu.)

Le seul problème, c’est qu’ils se retrouvaient souvent à bosser à moitie à poil, parce qu’ils devaient attendre le bateau de ravitaillement pour leur apporter des nouvelles fringues, mais l’acidité de l’air et de la terre rongeait tous les textiles super vite.

(On peut donc dire que White Island était la première île naturiste de Nouvelle-Zélande.)


(Pourtant ça avait l'air super, y'avait des bains de boue thermaux et tout.)



(Tu payes une blinde en thalasso pour un truc pareil.)

Bon, aujourd’hui, il n’y a plus de mineurs, parce que l’exploitation de soufre est devenue graduellement de moins en moins rentable, et l’ile a finalement été laissée à l’abandon, avant de devenir un lieu touristique. Mais on a quand même pu visiter des débris de l’usine de soufre – du moins ce qu’il en reste après quarante ans d’explosions volcaniques :









(On a essayé de me faire croire que c’étaient des pièces de fonderie, mais je reconnais un mécanisme Dwemer quand j’en vois un, va pas me la faire à l’envers.)

Et puis c’était le moment redouté du retour, qui en fait s’est très bien passe parce que la mer s’était calmée entre-temps.

(J’ai quand même attendu d’être sur la terre ferme pour manger le sandwich qu’ils m’avaient filé.)

(Courageuse mais pas téméraire.)

C’était donc un samedi super fun, même si toutes nos fringues, nos cheveux et la voiture ont senti le soufre pendant trois jours, on avait l’impression d’avoir fait un brunch avec Satan, c’était formidable.

On a passé l’essentiel du samedi soir et du dimanche matin sur la route, avec un court arrêt pour la nuit dans un motel qui sentait bon le formica et la naphtaline – ce qui était quand même trop de confort pour Professeur Flaxou le prolo :

- Tu nous a pris une chambre pour la nuit dans un motel ! Un MOTEL ! Alors qu’on aurait pu se garer sur le bord de la route et dormir dans la voiture !
- Mais on peut se permettre de dormir dans des motels maintenant : on a du boulot, on gagne notre vie.
- On se RAMOLLIT, oui !

Car oui, Flaxou a beau avoir 30 balais, dans sa tête, il est toujours étudiant.

- Normalement, en vacances, on va pas dans des hôtels. C’est des trucs de prout-prout, ça. En vacances, on se lave dans les rivières, on dort sur la plage dans un sac de couchage, et on mange des pâtes à l’eau.
- T’as mangé du steak littéralement à chaque repas depuis avant-hier.
- Ah ! C’est ta bourgeoisie qui me contamine !

(Et encore, ça c’était avant qu’on arrive. Quand il a vu qu’on avait une salle de bains incluse, j’ai cru qu’il allait faire une syncope.)

Dimanche matin, on s’est mis en route pour Gisborne, avec un petit passage à Te Araroa pour aller faire un petit coucou à Te Waha o Rerekohu, le plus grand pohutukawa du monde :




Et puis on s’est dirigés vers Tatapouri, un lieu-dit dans les environs de Gisborne, où il y a une plage et un camping et c’est à peu près tout. Mais ça tombait bien, on était justement là pour la mer, et surtout pour ce qu’il y avait dedans. Parce qu’on est arrivés chez Dive Tatapouri, on a enfilé les pantalons en caoutchouc les plus glamour du monde :


(Bonjour, je fais huit mille kilos.)


Et on est partis faire coucou à des raies.

En effet, il y a pas mal de raies en Nouvelle-Zélande, mais étonnamment, personne ne les pêche – les Kiwis trouvent que c’est pas bon (les rustres). Du coup, les raies sont plutôt peinardes avec les humains, et craignent surtout les prédateurs marins (type orques ou requins). Donc, la plupart du temps, elles vivent très près du rivage, là où les orques ne peuvent pas les chasser. On peut donc les observer de très près.


De très très près.


Genre elles viennent se coller sur ta jambe, ce genre de près.


(« Hey, qu’est-ce que s’up ? »)


Pour moi qui ai la trouille de n’importe quel poisson de plus de dix centimètres, tu te doutes que c’était une sacrée expérience. Mais en fait les raies étaient très sympa : elles venaient nager près de nous, tranquillement, et on pouvait leur faire des câlins :


(C’est tout doux !)


Et, clou de l’excursion, on nous a filé des morceaux de poisson cru, et les raies sont venues manger DANS NOTRE MAIN !

Bon, j’avoue que ça me foutait un peu la trouille, alors j’ai lâché mon bout de poisson dans l’eau genre huit fois avant de réussir à le garder dans ma main tremblotante quand la raie s’approchait, parce que j’avais peur qu’elle me morde. (Alors que les raies ça a pas de dents, mais bon, cherche pas la logique.)

Mais finalement j’ai rassemblé mon courage, la raie est venue se poser au-dessus de ma main, ça a fait PPPHHHWOM comme un aspirateur, et j’avais plus de poisson, mais encore toute ma main.


(Parfait.)

Et si c’était une journée fun pour moi qui ai peur des poissons, je te laisse imaginer l’extase de Professeur-Flaxou-j’aime-tout-ce-qui-va-dans-l’eau, qui a bombardé le guide de trente millions de questions :

- Combien d’espèces différentes de raies est-ce qu’il y a en Nouvelle-Zélande ? Combien de temps ca vit en moyenne ? Vous les nourrissez tous les jours ou bien elles chassent ? Y’en a combien dans la crique environ ?Vous arrivez à les reconnaitre ? Pourquoi vous partez ? Ah c’est fini ? Je peux vous poser encore des questions?


(Allez, un dernier câlin, et on plie bagages.)

Bref, après cet intermède « Meilleur jour de ma vie » pour Professeur Flaxou, on est allés se balader dans les gorges de Waioeka :





Sauf que le guide n'avait pas précisé que la fin de la balade serait,
disons, sportive, car voici où on s'est retrouvés à la fin de la rando:


Devant nous, c'est donc où on devait aller, et au milieu coule une rivière.

(Dis donc, c'est la journée de références des années 90, aujourd'hui.)

Tu noteras les câbles en travers de la rivière, pour les athlètes qui voudraient faire les malins et traverser comme des surhommes en se tractant à la force de leur bras.

Donc évidemment, confrontée à une épreuve pareille, j'ai noué mes chaussures autour de mon cou et j'ai traversé à gué.


(Mais ça va, il faisait chaud.)

Et puis on s’est arrêtés pour la nuit dans le village de Matawai et son unique hôtel/restaurant, un endroit charmant si on n’a jamais vu de film d’horreur.


(Ambiance « Chaque pièce est pleine de portraits de gens de l’ancien temps qui te suivent des yeux » et « On a accroché plein d’objets en fer rouillé aux murs parce que ça fait terroir, mais en fait on dirait juste des instruments de torture ».)

Ah oui et est-ce que j’avais mentionné que la fierté de l’hôtel, c’était un agneau à deux têtes empaillé depuis 1930 ?


(Ça vous pose une ambiance, tout de suite.)


(PS: Ceci est une photo Google, j'avais pas mon appareil sur moi.)

Mais bon, pour un hôtel de film d’horreur, il était propre, de bonne qualité et confortable – même si on était les seuls dedans à part l’hôtelière et c'était un peu chelou:

- Vous voulez manger vers quelle heure ?
- Heu… je sais pas, d’ici une heure ?
- Parfait. Ce soir, on a du steak.
- Et… y’a d’autres options ?
- Oui : steak aux champignons et légumes, ou steak avec salade et frites.

(Heureusement qu’on n’est pas végétariens.)

(Et puis ça ne faisait que le sixième steak de Flaxou en trois jours.)

Bref, après une nuit super Kiwie où on s’est écroulés comme des loques à 21h pour se réveiller frais et pleins d’entrain à 6h30 du matin (sans déconner, je me lève plus tard que ça quand je dois aller bosser), on s’est mis en route pour notre dernière rando avant de rentrer : Motu Falls.

Une balade qui se méritait, vu qu’on a dû se farcir une-demi-heure de route sur un chemin de terre pour y arriver, mais ça valait le coup :



(Grosse pensée pour mon poto Indiana Jones.)


Et puis c’était le départ pour les six heures de route jusqu’à Auckland, avec Flaxou préposé au volant et moi préposée aux photos floues prises de la route :







Et après toute cette route, on était quand même soulagés de revenir à la maison.

- Y’a pas grand-chose dans le frigo, tu veux que je décongèle un truc pour le dîner ?
- Ouais, j’me ferais bien un steak.
- …..
- Quoi ? C’est encore le week-end!

Ce week-end sera donc désormais connu dans notre famille sous le nom de « Le week-end où on a toussé dans un volcan, j’ai vomi dans un bateau, on a fait des câlins à des raies et Flaxou a mangé huit steaks ».

(J’ai pas plus court pour le moment.)

jeudi 22 octobre 2015

3615 ma vie super saine



Et donc il y a quelques jours j’ai réalisé que je rentrais en France dans huit semaines, et j’ai légèrement paniqué.

- Haaaaaa putain mais je suis trop grosse ma mère elle va m’tueeeer !

(Juste légèrement.)

Parce que j’ai beau aller à la gym trois fois par semaine, quand on mange des burgers et des gâteaux le reste du temps, bizarrement, ça suffit pas.

(C’est trop moche la vie.)

En plus, comble de malheur, je m’étais mise à faire du vélo d’appartement à fond les ballons parce que j’étais hyper supra motivée (normal, c’était la seule option pour faire du sport en sloup tout en binge-watchant des séries Netflix – le compromis parfait entre être une personne saine et être une personne heureuse). Résultat, maintenant j’ai des jambes comme des poteaux, je rentre plus dans aucun de mes pantalons, et mes cuisses sont tellement grosses que j’arrive même plus à serrer les genoux.

Mais en revanche c’est des cuisses musclées.

Elles ont le gabarit d’un jambon de Bayonne, mais elles sont musclées.

(Ça me fait une belle jambe.)

(JEU DE MOTS AHAHAHAHA)

Donc j’étais un peu flippée à l’idée de devoir apparaître devant mes proches en mode « Coucou j’ai la circonférence de Saturne » - d’autant que c’est pas comme si je rentrais à la maison à un moment anodin.

Nan.

Je rentre à NOËL.


NOËL en ALSACE.


Quand tu penses que la dernière fois que j’étais à la maison pour les vacances, j’ai pris cinq kilos en quatre semaines, et c’était juste un mois d’octobre normal !

Et en plus on a fait des balades en montagne et j’ai fait du développé couché en portant ma nièce et tout, c’était un minimum physique. Là, il fera trop froid, on sortira juste le temps d’aller se balader au marché de Noël (en avalant des litres de vin chaud tout du long).

Alors imagine quatre semaines de sédentarité complète, assorties non seulement du gavage intensif obligatoire pendant les trois jours de Noël (un jour chez ma mère, un jour chez mon père, un jour chez les beaux-parents), mais avec en sus tous les repas que ma mamie va me préparer avec amour parce qu’elle les retient depuis un an, plus toutes  les autres petites choses délicieuses qu’on s’engouffre dans le gosier en Alsace entre novembre et janvier (et qui sont toutes approximativement 30% beurre, 30% sucre et 30% cannelle), et tu comprendras que j’en mène pas large.

(Ceci est l’article le plus « First World Problems » du monde.)

(« Han, je passe mes congés payés au milieu de ma famille et de mes amis, et j’ai trop de choses succulentes à manger ! Ma vie est un enfer ! »)

Alors tu vas me dire, la solution facile serait de tout simplement faire attention à ce que je mange durant mes vacances.

MAIS LOL.


J’AI AUCUNE VOLONTÉ JEAN-MICHEL.


Tu crois vraiment que je vais réussir à dire non quand on va me pavaner du foie gras sous le nez ? Du saumon fumé ? Des bredalas ? Des mannala? Du pain d’épices? Les bouchées à la reine de ma maman? La tarte aux quetsches de ma mamie?

Genre c’est un scénario plausible. J’avais déjà la bouche pleine de salive en écrivant « gras », c’est mal barré mon pote.



(« Ha non merci, j’ai pas assez faim pour des bredala » SAID NO ONE EVER.)

Donc laisse tomber la neige, je sais à l’avance que je vais passer un mois la gueule ouverte en attendant qu’on fourre de la bouffe dedans, tel un oisillon obèse qui n’aurait jamais quitté le nid.

(D’autant qu’on ne parle pas seulement de bouffe de Noël – je te rappelle que j’ai pas eu un morceau de fromage ou de charcuterie digne de ce nom depuis 2014.)

(Faites péter la bidoche et la fondue savoyarde !)

Du coup, ma seule solution pour ne pas finir toute sphérique et enflée comme si j’avais été punie par Willy Wonka, c’est de mener une vie ultra saine avant de partir en France.

Sauf que, comme je suis un génie de la vie et que toutes les réflexions ci-dessus n’ont atteint mon cerveau que la semaine dernière, je me retrouve à devoir mener la vie plus saine que j’ai jamais vécue, à savoir : je fais du sport ET Weight Watchers EN MÊME TEMPS.

(Sans déconner, c’est de la folie pure.)

Nan mais attends, on va recommencer, parce que j’ai pas l’impression que tu saisisses l’énormité de la chose :

Je fais du SPORT.

Et je fais attention à ce que je mange.


EN MÊME TEMPS !


C’est-à-dire que je vais à la gym, je cours sur le tapis roulant, je fais du vélo, je fais la machine de Gattaca et tout, et après je rentre chez moi et je mange de la SALADE !

(Et les jours ou je me sens un peu fofolle, je bois un-demi verre de jus de fruits en accompagnement.)

Donc voilà, je suis officiellement la personne la plus saine de l’univers.

(Je pense pas qu’il puisse y avoir un degré au-dessus.)

(À part peut-être les gens qui mangent uniquement des trucs raw-gluten-free-paleo mes couilles.)

(Mais je suis quasi certaine que c’est des pas vraiment des gens. Juste des profils Instagram.)

(C’est comme les meufs qui ont un thigh gap ; t’en as déjà vu dans la vraie vie ? EXACTEMENT.)

Alors j’ai bien envie de te raconter à quel point je hais ma vie et l’univers entier maintenant que j’ai le mode de vie le plus sain et le plus chiant du monde, mais en fait comme j’ai juste commencé, je suis encore en plein boost endorphinien, et je vis perpétuellement en mode « Je vaux mieux que toi, j’suis number one au top du top et je parle franglais parce que chuis cool baby ».

(C’est pas gonflant du tout pour mon entourage, c’est ça qui est bien.)

Je suis tellement pleine de bonne volonté et d’énergie que j’ai même commencé à faire du rameur à la gym – alias la machine dont je m’approchais même pas à dix mètres, parce que quand tu vois le genre de truc que c’est, forcément, tu te dis que t’es pas encore prêt.


(Sensei, je ne suis pas digne de l’ergomètre.)

Mais maintenant que j’ai franchi le pas, je suis pas peu fière :

- FLA ! Regarde mes mains !
- Ben… c’est des ampoules ?
- C’est les ampoules de la VICTOIRE !

Bon, quand je lui ai expliqué que j’avais chopé des ampoules après avoir fait dix minutes de rameur, mon illusion badass s’est quelque peu effondrée sur elle-même comme un soufflé trop cuit.

Mais c’est quand même bien cool, en plus entre-temps j’ai découvert que je ramais beaucoup plus vite si je mettais de la musique de Vikings dans mon MP3 :


(« En avant, compagnons ! Ramons jusqu’à Valhalla ! »)

(Ça marche aussi avec la B.O. de Skyrim, pour ceux que ça intéresse.)

Bref, tout ça pour dire que j’ai quand même hâte d’être en France avec mon foie gras ma famille pour pouvoir leur montrer comme je mène une vie saine, et pouvoir subséquemment me faire noyer dans la graisse et le vin.

(Ça va être un beau Noël.)

dimanche 18 octobre 2015

L'instant Kiwi: les idées reçues au pays des fougères II


On continue le tour des idées reçues les plus répandues chez les Kiwis, et c’est le bon moment pour te parler de l’ethnocentrisme.

L’ethnocentrisme désigne le fait de « voir le monde et sa diversité à travers le prisme privilégié et plus ou moins exclusif des idées, des intérêts et des archétypes de notre communauté d'origine, sans regards critiques sur celle-ci ». En gros, c’est la tendance d’un peuple à établir sa culture comme mètre étalon des autres : cf. ma mamie qui regarde des photos de mon tonton au Japon, et qui, en voyant des gens manger assis sur des coussins par terre, s’écrie : « Mon dieu ! Ils sont si pauvres ! Ils n’ont même pas de quoi se payer des chaises ! »

(Il a quand même fallu la dissuader d’envoyer un chèque aux gens de la photo, « pour qu’ils puissent enfin arrêter de manger par terre comme des animaux ».)

(Véridique.)

Et les Kiwis, en fait, c’est un peu comme ma mamie : ça ne part pas d’une volonté consciente, mais ils ont une grosse tendance à rabaisser les autres cultures, même celles qui sont présentes en masse sur leur territoire.

Cela vient en partie d’un manque de perméabilité entre les cultures (chacun fait sa vie dans son coin, et quasiment personne ne fait l’effort d’aller vers un autre groupe ethnique) et d’autre part de la culture coloniale britannique - car même si la colonisation de la Nouvelle-Zélande s’est faite sans trop de sang versé (comparativement aux massacres qu’on a pu observer en Australie, par exemple), de un, ça ne veut pas dire que c’était bien vu de fraterniser avec les indigènes, et de deux, les Kiwis « de souche » ont quand même l’idée ancrée en tête que la culture britannique c’est la meilleure et la plus géniale du monde, Rule Britannia et God Save the Queen.

Bref.

J’ai donc entendu pas mal de clichés de la part de certains Kiwis, mais somme toute assez semblables à ceux que l’on peut trouver partout de par le monde chez les gens moyens ouverts d’esprit.

Par contre, il y a deux idées reçues, concernant respectivement les Samoans et des Maoris, qui sortent du lot des clichés communs, en ce sens que la grande majorité des gens y croient dur comme fer – notamment parce que ces idées reçues sont en partie basées sur des faits établis, ce qui les rend d’autant plus pernicieuses.

On commence avec celle qui m’a fait écarquiller les yeux : les Fa'afafine.

Alors, tout d’abord, il va falloir faire un petit cours de civilisation, parce qu’on va se pencher sur une culture complètement inconnue en Europe : les Samoans.

Les Samoans sont les habitants de Samoa (ça va, jusqu’ici c’est facile), une île perdue dans le Pacifique.


(À ne pas confondre avec American Samoa, qui est juste à côté, mais qui est un territoire des États-Unis.)

Samoa était au départ une colonie allemande, mais après la Première Guerre Mondiale, la Ligue des Nations a confisqué la colonie aux Allemands, et la Nouvelle-Zélande a repris le contrôle de Samoa. Samoa était donc une colonie néo-zélandaise de 1914 à 1962, parce qu’apparemment ça leur avait pas servi de leçon aux Kiwis d’être eux-mêmes une colonie.

Aujourd’hui, Samoa est un État indépendant, mais bénéficie de liens très forts avec la Nouvelle-Zélande, notamment au niveau de l’immigration, puisque les Samoans reçoivent instantanément la nationalité Néo-Zélandaise s’ils en font la demande.

Et comme à Samoa, y’a que trois mille kilomètres carrés de terres (qui reculent de jour en jour sous la montée des eaux), que le PIB est l’un des plus bas au monde, et que la seule économie du pays, c’est la culture des racines, tu te doutes qu’il y a pas énormément de perspectives d’avenir sur l’île.

Du coup, il y a aujourd’hui 200 000 Samoans qui vivent a Samoa, et 130 000 qui vivent en Nouvelle-Zélande. Et les projections démographiques estiment que, d’ici 20 ans, il y aura plus de Samoans en Nouvelle-Zélande qu’à Samoa.

Et les Fa'afafine, c’est un exemple flagrant du manque de communication qui existe entre les Kiwis « de souche » et leurs populations immigrées – même quand elles sont aussi nombreuses que les Samoans.

Bref. Les Fa'afafine, qu’est-ce que c’est ?

Eh bien, si tu demandes à un Kiwi, il va te dire ça :

« Les Fa'afafine sont des garçons Samoans que leurs parents élèvent comme des filles pour qu’ils puissent s’occuper des tâches ménagères. »

Et je t’avoue que quand on m’a dit ça comme ça, à froid , j’ai failli m’étrangler avec ma pavlova.

Parce qu’on est d’accord que l’idée d’une culture où les parents décident de faire changer de sexe à leurs enfants pour qu’ils puissent passer l’aspirateur, c’est un poil chelou, non ?

- Poussin, tu peux m’aider a décharger les courses ?
- Ben non, je suis un garçon.
- Ah oui, suis-je bête. Enfile une robe et viens m’aider.
- Hein ?
- T’es une fille maintenant.
- Mais je…
- Ta gueule.
- …
- Va faire la vaisselle.

Piquée par la curiosité, j’ai donc fait mes petites recherches, et la réalité, tu t’en doutes, est un poil plus complexe.

Effectivement, les « Fa'afafine » sont des Samoans nés de sexe masculin, mais qui ont des comportements considérés majoritairement comme féminins. Les Fa'afafine ne sont cependant pas des transsexuels : ils restent biologiquement des hommes, même si la société Samoane ne les considère pas comme tels. Cependant, elle ne les considère pas comme des femmes non plus -  les Fa'afafine sont en fait un troisième sexe.

Concrètement, les Fa'afafine s’habillent généralement avec des vêtements féminins, ont les cheveux longs, mettent du maquillage, et remplissent souvent les rôles sociaux des femmes (notamment s’occuper des tâches ménagères – d’où le cliché Kiwi), même s'ils peuvent aussi occuper des rôles plus "masculins".

Quelques Fa'afafine célèbres:


(Fuimaono Karl Pulotu-Endemann, un juge de paix et professionnel de la santé, qui a notamment beaucoup œuvré pour développer le traitement des troubles de la santé mentale chez les Polynésiens de Nouvelle-Zélande.)


(Jaiyah Saelua, joueuse de football professionnelle pour l'équipe nationale d'American Samoa, et la première personne transgenre à jouer pour une équipe masculine dans une Coupe du Monde de la FIFA.)


(Brother Ken, un personnage fictif qui joue le principal d'un collège dans la série néo-zélandaise Bro'Town.) (Un genre de South Park avec des Polynésiens.) (Tu peux trouver tous les épisodes sur Youtube, mais je te conseille de t'accrocher, parce que les accents sont coriaces.)

Les Fa'afafine sont plutôt bien acceptés dans la société Samoane, même si l’influence des groupes chrétiens radicaux a eu des conséquences très négatives ces dernières années (tiens donc, l’Église n’est pas fan des LGBT, comme c’est étonnant.) Mais ils sont généralement bien acceptés au sein de leur famille – dans une étude, 80% des parents de Fa'afafine déclarent qu’ils n’ont pas tenté de pousser leurs enfants vers des attitudes plus masculines. Avoir un enfant Fa'afafine est d’ailleurs souvent une bonne nouvelle pour les parents niveau plan retraite, parce que les Fa'afafine restent majoritairement au foyer à s’occuper de leurs aïeux, vu qu’ils ne peuvent pas se marier ou avoir d’enfants – à Samoa, le mariage est autorisé uniquement entre un homme et une femme, et les Fa'afafine, rappelle-toi, ne sont techniquement ni l’un ni l’autre.

Alors je pense comprendre comment la réalité a été tordue de manière à ce que l’on arrive à l’énormité que j’ai entendue, mais qu’on mette les points sur les I : ce ne sont pas les parents des Fa'afafine qui décident, comme ça, « tiens, on va élever notre garçon comme une fille ». Et, mine de rien, ça fait quand même une grande différence : parce qu’accepter le changement de sexe de son enfant, c’est de la tolérance, mais forcer son enfant à changer de sexe pour le transformer en esclave personnel, c’est de la maltraitance.

(En plus en général ça finit mal ces histoires d’enfants esclaves, t’as jamais lu Cendrillon ou quoi ?)

(Laisse tomber comment tu vas finir avec les yeux crevés et des morceaux de pied en moins.)

(Franchement, passe le balai toi-même, t’auras moins d’emmerdes.)

Bref, tout ça pour dire : les Fa'afafine ne sont PAS des garçons que l’on transforme en filles contre leur gré ; ce sont des garçons qui n'ont pas envie de remplir les idéaux (ultra exigeants) de masculinité à Samoa, et choisissent donc (CHOISISSENT) de remplir des rôles sociaux féminins.

Bref, je pourrais en écrire des pavés pendant des heures, parce que je trouve ce concept de troisième sexe fascinant, et je pense que la notion a certainement un rapport avec le fait que la société Samoane est hyper intolérante sur la question de l’homosexualité (l’homosexualité entre hommes est interdite par la loi, et passible de sept ans de prison, quand même). Du coup je pense que ce n’est pas un hasard que les Fa'afafine soient généralement attirés par des hommes – parce qu’une relation entre un homme et un Fa'afafine, ce n’est pas considéré comme de l’homosexualité. (Hop, pirouette sociétale.)

Bref bref Brejnev.


(Mais non, c'est juste une expression, enfin!)

Changement de culture, on va aller du côté des Maoris, et s’aventurer en terrain glissant en abordant le sujet de la légitimité du peuple Maori.

Il faut savoir que les iwi (tribus) maories sont assez actives dans leur bataille avec le gouvernement néo-zélandais, pour qu’on leur restitue les terres qui leur ont été prises à l’époque de la colonisation. Tout cela peut être résumé au gros quiproquo du Traité de Waitangi (que j’ai déjà évoqué sur ce blog) : en gros, le gouvernement dit que les Maoris ont cédé leurs terres de plein gré, et que du coup c’est trop tard pour se la ramener maintenant, et les Maoris disent qu’ils ont été dupés sur la marchandise, parce que le Traité disait qu’ils pourraient conserver leur souveraineté – ce qui n’a pas été le cas.

L’argument principal des Maoris dans leur bataille pour la souveraineté, c’est évidemment le fait qu’ils étaient là les premiers – et que, du coup, la couronne britannique leur avait pas exactement volé leurs terres, mais les avait bien arnaqués quand même.

Et, un beau jour que je discutais de ça avec des amis Kiwis et étrangers, un Kiwi nous a répondu:

- Mais de toute façon c’est des conneries cette histoire de qui était là en premier. Ça n’a pas sa place dans le débat, vu que les Maoris n’étaient pas le premier peuple à être arrivé en Nouvelle-Zélande.

La, y’a eu un moment de WTF général, parce que, parmi les étrangers, on avait tous lu dans nos petits guides touristiques que les premiers sur place, bah, c’étaient les Maoris.

Et notre Kiwi de continuer :

- On dit que les Maoris étaient les premiers parce que c’est eux qui étaient la quand les britanniques sont arrivés. Mais, en vrai, il y avait un autre peuple autochtone avant : les Moriori.

Là, on était encore plus perturbés, parce qu’on n’avait jamais entendu une seule mention de ce peuple. L’explication n’a pas tardé :

- Les Moriori étaient un peuple pacifique et ils ne savaient pas se battre. Du coup, quand les Maoris ont débarqué, ils les ont massacré jusqu’au dernier. Donc qu’on ne vienne pas me dire que c’est eux qui ont été injustement colonisés ! C’étaient déjà des colonisateurs ! Les Britanniques étaient juste la deuxième vague ; et ils ont été vachement plus cléments.

Là, je t’avouerai que j’étais intriguée. Donc j’ai fait mes recherches, et ce que j’ai découvert n’était pas joli-joli.

Les Moriori sont un peuple qui a vraiment existé sur les Iles Chatham : un archipel néo-zélandais situé à 800 km à l’Est de la Nouvelle-Zélande, et où on trouve des cailloux, et voilà. (Sans déconner, le truc c’est trois rochers empilés au milieu de l’océan, avec un vent glacial et une humidité permanente.) (En gros, faut être motivé pour vivre là-bas.)


Aujourd’hui, il y a 600 habitants sur les Iles Chatham, dont une toute petite poignée de descendants Moriori. Mais il y a quelques siècles, il y en avait beaucoup plus…

...avant qu’ils ne se fassent quasiment tous exterminer par les Maoris.

« Ah mais en fait c’est vrai cette histoire ?? », t’exclames-tu.

Eh ben, oui et non. Mais commençons par le commencement.

Au XIXè siècle, des archéologues et ethnologues britanniques découvrent des ossements de moa à côté d’outils de chasse qu’ils estiment dater du Paléolithique.


(Pour rappel, le moa, c'est ça.)

Ayant déjà daté l’arrivé des Maoris au XIIIe siècle, les scientifiques se disent que ces traces proviennent d’une civilisation antérieure.

Leur théorie est reprise par S. Percy Smith, un ethnologue dont le boulot était de découvrir la date d'arrivée des Maoris en Nouvelle-Zélande. En "arrangeant" les témoignages de tradition orale maorie dans l'ordre chronologique, il identifie pas mal de trous, qu'il bouche avec un peu tout ce qui lui passe sous la main. Et les os datés du Paléolithique lui donnent un super point de départ pour sa théorie de la « Great Fleet », selon laquelle les premiers habitants de la Nouvelle-Zélande étaient les Moriori, un peuple de chasseurs-cueilleurs pacifiques de race mélanésienne (donc plus noirs que les Polynésiens - tu verras que ça aura son importance), et qui aurait été chassé sur les Iles Chatham par les Maoris en 1350.

Cette hypothèse devient super en vogue chez les Anglais et est très vite élevée au rang de fait, puisqu'elle démontre deux choses: 1. Que les Anglais ne sont que la vague de colonisation suivante, pas la première, et 2. que la race blanche est supérieure aux autres, puisqu'on a une preuve historique qu'à travers les siècles, une civilisation plus blanche et plus avancée vient à chaque fois supplanter les sauvages noirs et stupides.

Et comme en plus on est en plein boom des théories Darwiniennes, tu lances une pincée de "survie du plus fort" là-dedans, et tu as une magnifique justification pour la colonisation.

C'est marrant comme tout s'arrange à pic, hein?

Sauf qu’en fait c’était totalement faux.

Déjà, parce que les Moriori sont des Polynésiens, pas des Mélanésiens, donc techniquement eux et les Maoris font partie de la même « race » (selon la pensée du XIXè siècle et de Nadine Morano).

En fait, on pense aujourd’hui que les Moriori étaient à l’origine des Maoris, qui ont émigré de Nouvelle-Zélande et se sont installés sur les Iles Chatham vers le XIVè siècle. Une fois sur place, ils ont développé une langue et une culture à part, jusqu’à former un peuple bien distinct.


(Moriori en 1877.)

Notamment, les Moriori étaient rigoureusement pacifistes et avaient banni toute forme de conflit armé de leur société – à l’exact opposé des Maoris, qui étaient moins connus pour leur penchant à faire des câlins et des guilis, et un peu plus connus pour leur penchant à faire la guerre et à manger leurs ennemis en se baignant dans leur sang.

(Les Vikings du Pacifique, je te rappelle.)

Bon mais alors c’est vrai ou c'est faux, au final, cette histoire de massacre ?

En fait, non, y’a bien eu un massacre, mais c’était beaucoup plus tard, et (en partie) motivé par les colons britanniques.

Dans les années 1830, en pleine guerre coloniale, ça commençait à sentir mauvais pour les Maoris, qui enchaînaient les défaites contre l’armée britannique. Un iwi Maori a alors décidé que maintenant y’en avait marre et que c’était à leur tour d’aller coloniser des gens. Une tribu d’environ 500 guerriers a donc débarqué sur les Iles Chatham en 1835, armés de haches et de mousquets, et ont informé les Moriori ébahis que « Maintenant c’est chez nous ici, vous êtes nos vassaux ».

(On sent d’où leur est venue l’inspiration.)

Les chefs Moriori se sont réunis et ont décidé de ne pas se battre car c’était contraire à leurs principes… puis se sont faits promptement égorger et cannibaliser par les Maoris.

(On dirait la morale d’une fable horriblement cruelle.)

(Jean de la Fontaine approuve.)

On estime qu’environ 10% de la population a été massacrée sur-le-champ dans un rituel de victoire, et les hommes, femmes et enfants restants réduits en esclavage. En 1862, même pas 30 ans après la première incursion, il ne restait qu’une centaine de Moriori sur une population de 2000 avant l’invasion.

(Pour en savoir plus, tu peux te rendre sur la super mine d'informations qu'est Te Ara Encyclopedia.)

Donc, le génocide des Moriori aux mains d’une tribu Maorie, c’est vrai, MAIS les historiens de l’époque se sont plantés sur la date de plusieurs centaines d’années.

Et ça peut sembler être juste un petit détail chronologique, mais les colonialistes anglais ont utilisé tout au long du dix-neuvième et vingtième siècle l’argument que finalement leur colonisation était super justifiée parce que les Maoris déjà c’étaient pas les premiers, et puis on a le droit d’être des connards parce qu’eux aussi étaient des connards avant.

(L’argument zéro de l’humanité.)

Cette vision était d’ailleurs tellement populaire que les autorités britanniques étaient plus ou moins persuadées à l’époque que le peuple Maori vivait ses derniers jours, et ça leur posait zéro problème (au contraire). L’artiste Charles Goldie s’était d’ailleurs spécialisé dans les portraits de Maoris songeurs, contemplant et acceptant leur extinction proche avec nostalgie.


(« Ah, si seulement je pouvais encore manger la chair de mes ennemis vaincus. Mais bon tant pis, j’vais juste me suicider. »)


(« Han chuis trop deg, Darwin avait raison depuis le début. »)


(« L’homme blanc nous a vaincus, on n’a plus qu’à crever maintenant. GG les Anglais, AFK »)

La théorie de l’extinction des Moriori a été publiée dans les livres d’école en 1934, et a ainsi été enseignée à plusieurs générations d’enfants Kiwis. Ce qui est intéressant, c’est que l’accent n’était pas tant mis sur la cruauté (réelle) des Maoris, mais sur la stupidité (imaginaire) des Moriori. Ils sont notamment décrits comme paresseux, laids, et très, très noirs (forcément, ça va ensemble, hein Gérard ? Ah ah ah c’est tellement fun le racisme).



(V’la la bonne ambiance dans les salles de classe.)

Alors bien sûr, avec le temps, la Couronne Britannique a tout de même mis de l’eau dans son vin rapport au racisme, mais il n’empêche que la théorie des Moriori a été enseignée aux enfants Kiwis jusque dans les années 1970, quand des archéologues ont découvert ce que l’on sait aujourd’hui (à savoir, que les Maoris étaient réellement les premiers en Nouvelle-Zélande).

Le souci, c’est que peu de Kiwis se soucient suffisamment de leur histoire pour se renseigner sur le sujet. Résultat, plusieurs dizaines d’années après preuve du contraire, énormément de Kiwis pensent encore que les Maoris n’étaient pas les premiers en Nouvelle-Zélande, et que donc les Britanniques n’étaient pas des colons envahissant des indigènes, mais simplement la vague suivante d’immigration.

Et là tu vas peut-être me dire « Ouais, d’accord, mais les Maoris sont pas vraiment la figure du peuple innocent – j’veux dire, ils ont quand même commis un génocide, on est d’accord ? »

On est d’accord, mais la question n’est pas là.

Si la question était « Est-ce que les Maoris étaient des enfants de chœur », le massacre des Moriori serait un excellent argument en faveur du non.

Mais dans la question « Les Maoris ont-ils colonisé la Nouvelle-Zélande avant les Anglais ? », la réponse est clairement : non. Les Maoris n'ont pas colonisé la Nouvelle-Zélande, ils s'y sont installés quand il n’y avait personne dessus.

Après, on peut arguer qu’ils ont colonisé les Iles Chatham, ça, je dis pas. Mais tout porte à penser que l’invasion des Iles Chatham n’aurait probablement pas eu lieu s’il n’y avait pas eu la colonisation britannique. Parce qu'avant l’arrivée des Anglais, les Maoris étaient bien trop occupés à se faire la guerre en permanence pour penser à s’étendre sur d’autres territoires.

(Surtout que, les rares fois où ils étaient pas en guerre les uns avec les autres, ils devaient s’occuper à trouver de la bouffe (pour avoir de l’énergie pour faire la guerre plus tard) et à faire des mômes (pour qu’ils puissent assurer la prochaine guerre).)

(Ah oui ben j'avais prévenu que c'étaient pas des enfants de chœur.)

Et même si l'histoire des Moriori avait été vraie, elle n'aurait quand même pas sa place dans le débat d’aujourd’hui sur la légitimité de la colonisation. C'est franchement limite de comparer une invasion qui aurait eu lieu au Moyen Age avec une invasion qui a eu lieu au XIXè siècle en disant que c'est la même chose. C'est pas la même chose. On n'est plus la même civilisation. Juste parce qu'on se comportait comme des barbares y'a des centaines d'années, ça n'excuse pas le fait qu'on se comporte comme des barbares dans le monde moderne.

Donc, si un jour tu entends un Kiwi ressortir l'histoire de "Les Maoris c'étaient pas les premiers gna gna gna j'vois pas de quoi ils se plaignent", tu sais quoi répondre:

- TA GUEULE. Cet argument vaut littéralement double zéro. Premier zéro, c'est pas vrai. Deuxième zéro, même si c'était vrai, ce serait un argument de merde quand même. Arrête d'essayer de démontrer que la colonisation c'est super duper, sincèrement le monde entier a déjà tranché que c'était pas bien, ça fait genre au moins soixante ans que tout le monde est d'accord là-dessus et ça fait pitié de voir à quel point t'es à la ramasse.


Bon, après, je dis pas que tu te feras des tonnes d'amis si tu parles aux gens sur ce ton, mais au moins tu seras détenteur de la Vérité comme Socrate.

(Et puis tu peux faire une sortie badass.)

(C'est pas tous les jours qu'on te donne des occasions comme ça.)

(Ne me remercie pas.)